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Il me semble que ces images sont l'héritage d'une certaine élite
populaire, anonyme. On n'y prête pas attention, mais ce sont celles là
qui confèrent une âme à la ville. J'ai
la désagréable impression d'être étranger à Strasbourg, malgré tout le
temps déjà passé ici.
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La ville s'est metarmorphosée. De façon très institutionnelle et
moderne. Et j'aime assez ça. Et j'aime encore plus quand les
murs sont repris par ceux qui l'habitent vraiment. Le contraste est
alors saisissant. La ville est un musée à ciel ouvert où chaque
passage peut receler un secret, chaque façade une histoire volatile.
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Curieusement, l'art urbain dissident s'est vu approprié par une certaine
bien-pensance.
Ce qui n'est pas nécessairement une mauvaise chose, mais qui conduit à
certaines déviances artistiques telles que décrites par Franck Lepage
dans sa première conférence gesticulée.
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Il s'agit du Taps de la Laiterie, à la Montagne Verte. Mon anciens quartier. C'est rigolo, parce que j'avais jamais
remarqué qu'il y avait cette présence artistique, vaguement underground, dans les parages. On devine qu'ici ne se jouera
pas des oeuvres classiques, que c'est résolument moderne. Des oeuvres expérimentales, comme me l'explique un des intermittents
du spectacle qui prend sa pause.
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Je suis fasciné par la Demeure du Chaos et je ne me doutais pas que nous
avions à Strasbourg un laboratoire artistique similaire, quoique plus modeste: La SemenceRie. J'avais eu l'occasion un ou deux ans plus tôt
de découvrir l'atelier et de m'entretenir avec ses occupants.
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Ça ne se voit peut-être pas, mais à l'époque où la peinture était encore
fraiche, je m'étais bêtement assis dessu. Inutile de
dire que c'était de la foutue peinture coriace. L'espace autour de la
SemenceRie est amenagé en une sorte de jardin potagé ouvert.
C'est très convivial. Quand il y a du monde.
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Il y a quelque chose d'absolument magique quand les murs deviennent des pages. Comme des portes sur l'esprit de ceux qui sont
à l'origine de ces transformations. Celles-ci traduisent une sorte de malaise bienheureux. Une forme de résistance contre une
certaine idée du vivre ensemble qui s'oppose complétement à la réalité sociale.
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La SemenceRie est une structure indépendante.
Le style diverge complétement de la médiathèque André Malraux qui serait disont... plus mégalo et
invasif. Pour autant, cette médiathèque reste le thêatre d'événements culturels publics étonnament similaires.
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Pour moi, c'est la quatrième dimension. On ne sait pas trop s'il s'agit
des ruines d'une civilisation sur le déclin, d'un égarement artistique
témoignant d'une perte de repères généralisé ou de l'expression d'un
certain nihilisme. Cependant ce chaos me parle.
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On est perpétuellement dans la construction et la déconstruction. Rien
n'est véritablement permanent. On est dans la perception et le
ressenti immédiat. La spontanéité. Et j'y vois là un troublant parallèle
avec notre quotidient multimédia et sa
production-consommation compulsive.
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Il semblerait que l'on puisse réussir à légitimer tout ça au public à l'aide des propos de Pierre Restany dans son
« Manifeste des Nouveaux Réalistes ». On flirte un peu avec l'arnaque, mais
une oeuvre libre, moderne et contemporaine, se distingue de son homologue qui fait l'objet de spéculations économiques.
Le joyeux fatras résultant s'affranchit du vice élitiste et capitaliste révèlant ainsi sa poésie à tous.
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La SemenceRie a tout pour faire rêver. Que l'on y soit sensible ou pas,
l'endroit n'est ni subventionné ni canalisé par une instance
publique ou privée. Le cadre et son dépot d'expérimentations fait
l'effet d'un terrain de jeu à l'usage de faux-adultes, d'enfants-poètes,
où se manifeste
une forme de vie en communauté, inventive et investie.
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Beaucoup plus loin il y avait une imprimerie abandonnée. Ça faisait un
moment que la commune entreprenait de tout démolir. Mais je ne me suis
jamais fait à cette idée, qu'effectivement, un jour, il n'y aurait plus
rien du tout, sinon
un terrain vague n'évoquant rien à personne.
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Pour moi, et probablement d'autres personnes, l'imprimerie comptait énormement. Comme un sanctuaire ou un jardin secret.
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Les chantiers se multiplient alors que les endroits oubliés de
l'activité collective disparaissent. Explorer un chantier, grimper en
haut d'une grue
la nuit, c'est sympa, mais c'est pas exactement le même sentiment que la
découverte d'un vestige urbain. Le street art aura-t-il le même impact
dans une ville uniformisée et harmonisée à outrance?
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Malgré le mois de ramadan et la chaleur écrasante de nombreuses familles
musulmanes flannent au centre ville dont les rues sont animées et
insouciantes.
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Des gens talentueux s'improvisent constament un petit spectacle de rue, entretenant le charme et la bonne humeur de la ville.
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La nuit tombée Strasbourg change de visage. Ce sentiment d'étrangeté s'intensifie. Elle est comme une vieille
amie. Et chaque année nous nous réapprivoisons.
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Les souvenirs se déconstruisent à mesure que la ville se transforme, parce qu'elle est une extension de notre mémoire.
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Les néons et l'obscurité noyent le béton et réveillent en moi une
certaine ardeur. La ville nocturne, brulante et dépeuplée, a quelque
chose de terrifiant et d'érotique.
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On distingue dans la rue des paroles et de la musique assourdit par les
murs des appartements. La vie existe mais semble lointaine et
fantomatique.
Ce soir, à nouveau, je m'insinuerais dans la ville.
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À l'exception de ceux qui l'ont batîe, très peu peuvent prétendre
connaitre Strasbourg comme moi je la connais. Cette ville est à moi.
ELLE EST À MOI. J'en connais toutes les humeurs, tous les dangers et
tous les secrets.
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J'avance en elle à tatons. Éclairé par le flash de l'appareil photo et
la lueur de mon téléphone. Je n'ai rien pour me défendre ou m'éclairer
convenablement. J'écoute attentivement les ténèbres pour mieux me fondre
dedans.
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Curieux comme Strasbourg semble se dérober à moi par instant et comme je parviens à la retrouver dans son intimitée. Dans
ce qu'elle a de singulier et d'étrange. À l'intérieur, personne ne peut m'atteindre.
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Ses méandres semblent s'enfoncer loin dans la terre, vers l'enfer. Et le
paradis semble tellement loin. Je m'embarque à chaque fois vers
un voyage dangereux qui se termine comme l'on se réveillerait d'un
mauvais rêve. Une faërie noire.
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Ce cheminement a finalement quelque chose de très dantesque. Chaque
pièce en ruine pose une nouvelle question et me fait affronter quelque
chose en moi. À défaut d'avoir
eu de véritables rites initiatiques, il faudra nous en inventer.
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En regardant au travers de la fenêtre brisée, comme plongé dans le blanc
des yeux d'une véritable personne je prends conscience de la déviance
qui m'habite alors qu'eux sont dans leur maison,
avec leur famille ou leur amoureux. Je ne serai plus jamais l'un de
ceux-là.
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Malgré la complexité et la personnalité étonnament humaine de la ville,
elle ne peut remplacer l'être aimé. La véritable liberté se paye en
solitude et en exil. J'aimerais tellement
remplir ces murs de ces personnes qui me manquent, passées, présentes et
futures...
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Sur le chemin du retour je croise le dragon aperçu le matin même. À
présent terminé, je me mets en tête de lui raconter mes secrets. Puis je
lui murmure:
« Si tu rencontre une personne semblable, dis lui qu'elle n'est pas
seule, et que je l'attendrais quelque part au coeur de la ville ».
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